Constellation
Dernière mise à jour : 3 mars
RELIER LES ÉTOILES
Constellation est un ensemble.
Ce sont des étoiles.
Celles qui parsèment le firmament et qui permettent encore aux Hommes de s'orienter lorsque le paysage n'a plus assez de repères et que la technologie en qui nous vouons une confiance aveugle atteint ses limites. Et dans un même élan - certainement depuis que nous existons - nous guident vers des pensées métaphysiques et ce qu'il reste de philosophie en chacun de nous. De Socrate à Pumba. Un peu plus nombreuses au fil des années et parfois trop tôt, il y a aussi celles qui poursuivent leur scintillement dans nos cœurs mais que nous cherchons au-dessus de nos têtes. Celles à qui l'on s'adresse le soir à sa fenêtre ou étendus, une nuit d'été, dans un champ à l'odeur tiède de l'herbe fraîchement coupée. Il y a aussi les filantes qui exaucent comme les 76 que j'ai comptées la nuit passée. Les discrètes et les timides qui se révèlent uniquement lorsque la nuit échappe à la lune, comme en cet instant, au milieu de la mer Méditerranée. Et puis surtout, celle que nous connaissons le mieux. Une étoile de vie et de chaleur, notre étoile. Celle qui rythme en d'infinies couleurs le temps qui passe. Chaque jour, le soleil se lève et se couche à l'horizon. J'ai parfois tendance à l'oublier. Heureusement que lui s'en rappelle. Ce voyage m'aidera à m'en souvenir.
Constellation est une toile.
Ce sont des lieux.
Ceux qui s'égrainent le long du parcours que j'ai un jour tracé sur une carte et que je souhaite relier en une ligne continue. Un fil qui épouserait les reliefs de ce bout de planète, d'eaux et de terres. Des mers d'huile, des interminables plaines. Des vagues et des collines. Jusqu'aux terribles lames et crêtes vertigineuses qui découpent le ciel. Il y a les lieux que j'ai quittés et tous ceux qui se rappellent à ma mémoire. Ceux qui m'ont rempli d'un indéfectible bonheur et ceux sur lesquels j'ai versé des milliers de larmes. Ceux qui m'enracinent et ceux qui m'emportent. Ceux que fréquentent les hérons et ceux qui dominent le monde. J'ai connu tellement de lieux. J'ai sauté de l'un à l'autre à un rythme effréné, à chaque occasion. Aujourd'hui, j'ai besoin de tisser ma toile. Sentir l'eau qui glisse sous la coque et qui berce mes nuits. Sentir le sol qui défile gentiment à mes pieds, à un rythme qui permet à mon âme de me suivre. Pouvoir le soir, lorsque je ferme les yeux, voyager le long de ce fil, sans silences. Et puis il y a ce lieu si particulier et différent pour chacun de nous, celui qui enveloppe et rassure. Ça sonne tellement mieux en anglais : home. Explorer c'est quitter son chez soi, c'est partir vers l'inconnu. S'éloigner de quelques mètres de ma maman lorsque j'étais petit, partir seul dans les forêt des Endroits lorsque j'étais enfant et à des milliers de kilomètres aujourd'hui. Mais le principe est le même. De l'inconnu au presque immuable, ces aller-retours permettent de mesurer ce qui a changé en nous. Cette expédition, me permettra de réaliser que j'ai grandi. Et peut-être aussi, un peu, d'élargir mon chez-moi.
Constellation est un réseau.
Ce sont des êtres vivants.
Des arbres déracinés, arrachés à la vie par cette terrible tempête, au petit Micky, fragile flocon, qui s'est blotti quelques instants contre moi à l'abri du vent, peu avant son dernier envol. Ce sont ces dauphins qui s'ébattent dans le sillage d'Omaya alors que nous filons dans les premières lumières de l'aube en direction de Gibraltar. C'est avoir la sensation, l'espace d'un instant de faire partie de ce Tout, d'être à sa juste place. Et puis surtout, ce sont des personnes. Comme ces illustres inconnus qui gravitent autour de moi alors que je cours le long d'une plage espagnole, durant ma pause forcée. C'est se dire qu'eux aussi peut-être, pensent la même chose, lorsque de moi il ne reste que le vent que je leur ai laissé. Ce sont aussi ces trois enfants qui jouent avec une corde sur la promenade bordant la mer sous le regard bienveillant de leurs parents. Tirer, sauter, la mettre hors de portée de la plus petite qui aimerait probablement déjà être grande. C'est la gentillesse d'Alex et l'hospitalité de Rocio. C'est la grande famille des pèlerins de Compostelle. Ce sont ces étrangers qui m'écrivent pour m'apporter un peu de réconfort et de précieux conseils. C'est Oded et sa fille Maya qui me permettent aujourd'hui de poursuivre mon voyage. Son calme à lui, sa douceur à elle. Leur humilité à tous les deux devant la force impressionnante de la mer que l'on doit apprendre à sentir, à deviner et à dompter. Pour cela il faut beaucoup de silence et de patience. C'est Peter aussi qui malgré ses insupportables attitudes m'a permis d'apprendre et de grandir. C'est sans oublier ses qualités que je lui pardonne, j'ai déjà bien assez à porter pour me charger de colère. Et bien sûr, comment vous oublier ? Vous. Toi et tes mots. Ceux qui comptent, ceux qui rassurent, ceux qui apaisent. Ceux qui m'ont fait pleurer, souvent. De joie et de reconnaissance, surtout. Les plus rares, comme ceux de mon frère, mais qui m'ont tellement touché. Alors oui c'est vrai, ma position a clignoté au même endroit pendant presque une semaine. Et pourtant, je n'ai pas cessé d'avancer. C'est un des fondements de cette aventure.
Constellation est un sytème.
Ce sont des liens.
C'est donner du sens à mon existence pour commencer par la mienne. C'est ne pas croire au hasard ni au destin. C'est revenir à Barcelone et soudain réaliser que j'avais quelque chose à y résoudre : cette roublardise de la pièce qui s'était évanouie sous un des trois gobelets, agités par l'habile arnaquer au pieds des Ramblas, et dont ma naïve maman avait été victime alors qu'elle n'avait presque pas un sou. Et moi envahi par la honte et la pitié. Il m'aura fallu presque vingt-cinq ans pour m'en défaire et enfin, être en paix avec ça. C'est ouvrir la porte aux signes qui se sont offerts à moi : réaliser que l'appartement que l'on m'a prêté à Alicante se situait à une centaine de mètres de la petite chambre d'hôtel que j'avais prise à la hâte, découvrir un aimant de la Floride sur la porte du réfrigérateur et réaliser que le premier restaurant dans lequel je me suis assis s'appelle L'aventure. C'est aussi réapprendre à aimer la vie après en avoir souvent douté, au plus haut point. Celui des falaises. Il faut bien que cela soit dit. Cela m'a appris à ne plus avoir peur de la mort et je sais à présent que je ne m'abandonnerai pas. Ce n'est pas dans ma nature. Je retiens cette pensée des soufis citée par Selim Aïssel, que l'on m'a discrètement confiée il y a quelques jours : "Quand tu traverses l'enfer, si tu ne veux pas brûler sur place, surtout ne t'arrête pas..." Alors c'est ce que je m'efforce à faire.
Je glisse à nouveau vers l'ouest, à toute allure, et je me dis qu'agir sur moi-même c'est aussi agir sur tout mon système. Prendre soin de moi c'est aussi prendre soin des autres. C'est réaliser que chaque membre de ma famille vit ce qui lui semble juste et en accord profond avec ce que nous sommes, malgré les épreuves et grâce à l'amour que nous nous portons. Au-delà des exploits et des médailles, il y a surtout le chemin que je parcours à l'intérieur. Prendre la décision d'abandonner le navire à Alicante, comme je l'ai fait il y a une semaine, m'a appris que je devais être à l'écoute complète de mon intuition qui, d'aussi loin que je me souvienne ne m'a jamais trahi. Séduit par quelques alléchantes perpectives et étouffé par le bruit de mon quotidien, je n'ai pas suffisamment fait confiance aux signaux qui auraient dû m'alerter. Il n'est jamais trop tard et ce n'est certainement pas la dernière fois. Il y a l'idéal et le possible me disait Lucas l'autre jour avec sagesse. Mon chemin se situe quelque part entre les deux.
Et moi, là au milieu, qui cherche avant tout,
À relier les étoiles.
Magnifique aventure, tes récits sont profonds et poignants. Je prends le temps de les lire aujourd‘hui au calme (en affût) ;)
La rudesse de l’aventure prend son envol dans la délicatesse de tes mots ciselés. Merci pour ton récit poignant, plein de sagesse….
Superbe récit comme toujours Chmini! Trop heureuse que tu puisses suivre ton propre chemin et que tu écoutes ton instinct.
Merci pour ce partage authentique mon cher frere, tu m'as emue! <3
Quel plaisir de te lire, malgré ces saloperies de Hérons! Bien des becs!